LA REINE JEANNE

Aussitôt après la mort de Robert, les Marseillais envoyèrent prêter serment de fidélité à la reine en sa qualité de comtesse de Provence. Ils lui demandèrent la confirmation de leurs franchises. Jeanne recommanda aussitôt par écrit au général sénéchal de Provence de les respecter scrupuleusement.
Son mari, ayant été assassiné par les Napolitains, la reine s’enfuit et vint chercher un asile en Provence (1347). Comme son grand-père, elle fut conduite avec ses barons et ses gentilshommes au cimetière des Accoules, où le peuple était assemblé ; elle y jura sur les saints Evangiles d’observer les privilèges et franchises de la Ville.
Jeanne fit alors cesser l’indivision administrative qui pesait sur la ville depuis plusieurs siècles.
Ce fut le 5 janvier 1348 que la reine, se trouvant à Marseille, supprima les deux juridictions et décida que les mêmes règlements municipaux régiraient les deux villes, de manière à n’en former qu’une seule.
A quelque temps de là, la reine se rendit à Avignon, ou elle fut accusée du meurtre de son mari. Elle plaida si bien sa cause qu’elle fut innocentée.
Pendant l'épidémie de la peste noire (1349), Louis de Bavière, qui s’était emparée de la ville Naples, s'enfui dès l’apparition de la maladie. Les Napolitains rappelèrent leur reine. Celle-ci, qui manquait d’argent, vendit alors Avignon au pape pour le prix de 80.000 florins. Puis, elle s’embarqua à Marseille, pour rentrer dans sa capitale.
Pendant son absence, elle avait nommé comme sénéchal en Provence, un gentilhomme italien, Aimeric Rollandi. Les Provençaux refusèrent de lui obéir parce qu’il était étranger. Seule, Marseille, accepta de le reconnaître et entra en lutte avec le reste de la Provence. Les Marseillais cherchèrent des appuis aux Martigues et à Arles sans en trouver. Décidés à faire respecter l’autorité de la reine Jeanne, ils ne négligèrent rien pour résister à la ligue provençale, mais le pape Clément VI offrit sa médiation. Sur ces entrefaites, la Reine révoqua Rollandi et l’harmonie fut rétablie.

C’était d’ailleurs, dans toute la France, une époque d’anarchie. Les grandes compagnies ravageaient le pays. Le chef de l’une d’elles, Arnaud de Cervolle, dit l’Archiprêtre, désolait la Provence, aidé de Raymond des Baux, comte d’Avelin.
Les Marseillais prirent encore une fois les armes. Deux colonnes sortirent de la ville, s’emparèrent d’Aubagne et de Saint-Marcel ; mais les bandits continuèrent à tout détruire. Il fallut faire appel à Jean d’Armagnac, qui vint en Provence avec 2.500 cavaliers. Les Marseillais lui envoyèrent cent arbalétriers. Toutefois la lutte se serait éternisée si le comte d’Avelin n'était mort. La reine Jeanne eut pour les Marseillais des paroles de gratitude. Elle leur confirma la propriété du château et du bourg de Saint-Marcel.


La ville de Marseille traitait de puissance à puissance avec la République d’Italie. En 1357, elle avait permis aux Florentins d’armer dans son port huit galères ; les Pisans ayant protesté, Marseille répondit fièrement « Que jamais empereur ou pape n’avait fixé de limite à sa navigation... et qu’elle s’en remettait à la garde de Dieu pour le triomphe de sa cause, si on attaquait ses vaisseaux. »
Sur ces entrefaites, Jeanne s’était mariée une troisième fois. Elle avait épousé Jacques d’Aragon, roi titulaire de Majorque ; mais ses affaires n’en allèrent pas mieux; elle se débattait au milieu des difficultés. Louis d’Anjou, frère de Charles V, voulait s’emparer de la Provence. L’empereur Charles IV lui céda le royaume d’Arles. Bertrand Duguesclin vint mettre le siège devant Tarascon, prit la ville par trahison, le 4 mars 1368 et vint camper devant Arles le 11 avril, mais il rencontra une résistance vigoureuse et au bout de dix-neuf jours il se retira et repassa le Rhône.
Jeanne excitait par lettre ses vassaux à la résistance contre Louis d’Anjou. Aix et Marseille s’unirent dans une ligue défensive. La reine approuva cette ligue, mais elle négocia si bien qu’elle calma les prétentions de Louis. Elle fut grandement aidée en cela par le pape Urbain V.
Ce grand pape, qui avait voulu s’installer à Rome, n’avait pu y réussir, il revint à Avignon en passant par Marseille, où il fut reçu le 16 septembre 1369 avec un enthousiasme indescriptible. Un an après, le 19 septembre, il mourait et son corps fut transporté à Saint-Victor où on lui éleva un mausolée. Cette année-là, la Provence fut de nouveau ravagée par la peste et la famine.

Jeanne n’ayant pas d’enfant, institua comme héritier Charles de Duras, son neveu par alliance. Celui-ci résolut de s’emparer tout de suite de son royaume. Alors la reine le renia et adopta Louis d’Anjou. Duras avait bloqué Jeanne dans le Château-Neuf à Naples. La reine ayant perdu tout espoir, se livra, mais quatre jours après, les Marseillais avec dix galères, vinrent mettre le siège devant la ville. Charles demanda à sa prisonnière de le faire reconnaître comme son successeur par les Marseillais et les Provençaux, mais Jeanne, dont l’énergie était indomptable, conjura au contraire ses vassaux d’obéir à Louis d’Anjou. Celui-ci d’ailleurs venait au même moment défendre son héritage futur en Provence, mais seuls les Marseillais voulurent lui obéir.

Le 22 mai 1382 Charles de Duras avait fait étouffer la reine Jeanne sous un matelas, et alors deux partis se formèrent en Provence. Aix, Toulon, Tarascon, Draguignan, Fréjus, Hyères, Saint-Maximin tenaient pour Duras. Marseille et Arles pour Anjou, ayant comme alliés Cuges, Signes, Ollioules, Six-Fours, La Cadière, La Ciotat, Ceyreste, Cassis, Aubagne, Le Beausset, Roquefort et Le Castelet. Les Marseillais commencèrent par s’emparer de Roquevaire et d’Auriol et y mirent une garnison. Puis ils firent appel au roi de France Charles VI. Celui-ci envoya des troupes en Provence, Marseille y joignit deux cents arbalétriers et l’on prit Saint-Cannat après dix jours de siège. Aix résista.
A la même époque, le roi Louis essaya de reconquérir Naples, mais son armée était décimée par la maladie et la famine. Ruiné, ayant perdu jusqu’à sa couronne, ne possédant plus qu’une cotte de maille en toile peinte, il chercha à rejoindre son ennemi Charles de Duras, mais celui-ci se déroba constamment. Enfin, miné par les revers et le chagrin, Louis mourut le 20 septembre 1384. Il laissait pour recueillir son héritage, un enfant, et pour le faire valoir, une femme.