PROSPÉRITÉ DE LA RÉPUBLIQUE

Au moment où commençait ce nouveau régime, Marseille venait de conclure en 1211 avec les Génois, une paix de vingt ans. A peu près à la même époque elle avait fait alliance avec Arles. En 1216, Sance, comte de Provence, signa avec les recteurs de la ville l’engagement de défendre et de protéger la commune. En 1219, Hugues, comte d’Empurias, députa une ambassade aux Marseillais et conclut avec notre ville un traité qui donnait à ses citoyens le droit de commerce dans les États du comte. Enfin, la même année, c’est Nice qui traite avec notre ville et qui s’allie avec elle.
Depuis quelques années, Marseille avait été soutenue par le comte de Toulouse, Raymond VI, qui avait fait cause commune avec les Albigeois. Mais Raymond VI avait fait amende honorable et livré la plus grande partie de ses domaines ; puis il s’était retourné contre ses anciens alliés, sauf les Marseillais. Ceux-ci étaient donc restés, à sa mort, fidèles à son fils Raymond VII. Ils voulurent l’aider à rentrer en possession de ses Etats. Ils combattirent avec lui dans le Venaissin, en compagnie des habitants d’Avignon, de Saint­Gilles, de Beaucaire et de Tarascon.
Mais Raymond VII fut définitivement battu par le roi de France, Louis VIII, et les Marseillais sortirent d’un état de guerre où ils avaient combattu le pape, contre lequel ils avaient une sérieuse rancune.
Louis VIII le Lion
(1187-1226).
Roi de France de
1223 à 1226



Différend entre la Commune et Saint-Victor.
Voici quelle était la cause de ce différend avec l’Eglise qui avait causé à Marseille une vive agitation et de sérieuses émeutes.
Roncelin, vicomte de Marseille, avait vendu ses biens à un nommé Anselme qui les avait, recédés à la Ville. Mais il paraît que Roncelin les avait également cédés à Saint-Victor. Les moines réclamèrent les biens sur lesquels la Ville avait à bon droit mis la main. La Commune contesta la validité de la vente faite à l’abbaye, mais elle offrit de transiger.

Honorius III, Cencio Savelli, Pape du 18 juillet 1216 au 18 mars 1227.
Le prieur de Saint-Victor refusa et recourut au pape Honorius III. Celui-ci prit naturellement le parti des moines et menaça la Commune d’excommunication si elle persistait. Les Marseillais se fâchèrent. Ils renversèrent la croix et la bannière que Saint-Victor avait placés sur le palais des Vicomtes et bravèrent impunément les foudres du Vatican. Enfin, le temps calma les esprits. Une convention intervint, dans laquelle la Ville devenait locataire des moines.
On comprend que ces événements étaient bien faits pour lancer les Marseillais dans le parti des Albigeois et du comte de Toulouse.


La prospérité de Marseille lui fait des envieux.
Ces différends étaient donc apaisés et Marseille vivait en paix, augmentant chaque année l’importance de son trafic et se créant partout, même sur la côte algérienne (à Bougie) des comptoirs d’échange. On comprend qu’une telle prospérité ne devait pas être sans lui attirer des envieux à une époque aussi troublée, où les grands seigneurs étaient en lutte constante avec leurs voisins, où les héritages se disputaient les armes à la main. Le voisinage et l’alliance d’une ville riche, bien administrée, puissante, n’était pas à dédaigner mais cette richesse, cette activité toujours croissante devaient aussi lui créer des ennemis. Si quelques grands voisins venaient souvent solliciter l’aide des Marseillais, d’autres rêvaient de s’assurer pour toujours leur concours en se les annexant.


Revendications des anciens Vicomtes.
Raymond et son frère Hugues des Baux, appartenant tous deux à la famille des vicomtes, revendiquèrent les portions du domaine seigneurial qu’ils avaient abandonnées. En 1225, Raymond prit les armes, mais on traita. Raymond renouvelait la cession de ses droits, mais Marseille lui payait une rente perpétuelle de 3.000 sous royaux, lui donnait une maison et le reconnaissait comme citoyen de Marseille lui et les membres de sa famille. Ce seigneur donnait, en garantie de sa bonne foi pendant trois ans, le château de Vitrolles.
Hugues des Baux, l’année suivante, encouragé par l’exemple de son frère, recourut à la protection de Raymond-Bérenger, comte de Provence. Celui-ci lui fit des promesses, mais lui manqua de parole, préférant travailler pour son propre compte. Hugues fit alors appel à l’empereur Frédéric II. Celui-ci écrivit aux Marseillais de rendre ses droits à Hugues. Il en fut pour sa lettre. Alors il menaça la commune de la mettre au ban de l’empire. Cette fois les Marseillais furent effrayés ; ils essayèrent de fléchir Hugues, celui-ci refusa ; ils envoyèrent des ambassadeurs au comte de Thomas Savoie, légat de l’empereur. Celui-ci qui aimait les Marseillais éclaira Frédéric II et ce dernier abandonna son protégé.


Prétentions de Raymond-Bérenger.
Raymond Bérenger étant venu en Provence prendre possession de son héritage après la défaite des Albigeois, avait trouvé son autorité méconnue. Aidé des Marseillais, il la rétablit rapidement, mais, enivré de son succès, il voulut s’attaquer aux villes indépendantes. Il détacha Arles et Nice de l’alliance marseillaise, puis il prit la route de Marseille, où il prétendit aussi faire reconnaître sa suzeraineté, au mépris de tous les traités. Mais ses prétentions furent repoussées et il dut s’éloigner après un siège de trois mois (1230).
Sur ces entrefaites, l’empereur d’Allemagne donna à Raymond VII une partie des domaines de Raymond-Bérenger. Raymond VII revint donc en Provence, ravagea tout le pays, incendia les villages et les maisons et arriva à Marseille, où il signa un traité avec la commune qui lui assurait la seigneurie viagère de la ville basse, tout en s’engageant à ne porter en rien atteinte aux droits et privilèges des Marseillais. Alors l’empereur reprit Raymond-Bérenger sous sa protection et invita tous les belligérants à le choisir comme arbitre, mais les Marseillais ne voulurent d’abord pas souscrire à cet engagement. Menacés encore une fois d’être mis au ban de l’empire, ils cédèrent et une trêve intervint.


Fin de la République.
Raymond-Bérenger contraint Marseille à capituler.
Raymond-Bérenger profita de la trêve pour administrer ses États et rendre la tranquillité à la Provence. Il crut pouvoir faire entrer sous sa suzeraineté toutes les villes qui lui avaient résisté. Il envoya donc aux Marseillais l’évêque Benoît d’Alignani qui s’efforça de leur démontrer tous les inconvénients du régime démocratique et les avantages de vivre dans la vassalité d’un prince puissant et riche. Les Marseillais repoussèrent énergiquement les propositions de l’évêque.
Irrité, Raymond-Bérenger reprit les armes (1236), mais son gendre, le roi de France saint Louis, intervint. Il y eut trêve. La lutte recommença cependant l’année suivante. Elle dura six ans pendant lesquels Marseille fut soutenue par son allié le comte de Toulouse ; mais celui-ci ayant été obligé de se soumettre à saint Louis, le comte de Provence contraignit Marseille à capituler. Il lui imposa sa protection, tout en laissant aux habitants leurs institutions, leurs magistrats, la liberté dans leurs élections. Il se réservait le droit de battre la monnaie (1243).