Victor Gelu, écrivain et chansonnier provençal, se désolera sur ces transformations entreprises sous le second empire. Dans ses mémoires on peut lire :
- "Destruam et aedificabo! disent ces avides agioteurs du Nord qui, ne connaissant rien de nos plaisirs, de nos besoins, de notre climat, veulent nous imposer leurs idées pour amasser des millions! Ils détruisent; mais qu'est-ce qu'ils édifient?... Ils raseront la montagne au nord de notre vieux port, cette barrière naturelle qui nous garantit des ravages du vent de nord-ouest (1), et cette barrière abattue, toute la plaine au nord de Marseille sera plus maltraitée par le mistral que ne le sont les déserts de la Crau d'Arles!... Ils parlent sans sourciller de combler notre Lacydon, une des merveilles de la Méditerranée, en y jetant les déblais des collines des Moulins et des Grands-Carmes! Ensuite, ils vendront par lots, comme emplacements à bâtir, ce terrain conquis sur le passé et puis, ils y feront élever quelques maisons soi-disant modèles, bien massives, bien inhabitables (2)! Au moyen de quelques autres amorces, ils trouveront quelques acquéreurs engoués du progrès qui achèteront le tout à beaux deniers comptants et le tour sera joué! Et notre patrie tout entière ne sera plus qu'une immense Fouen dei ven (3)!..."
Août1866 : Les immeubles sont terminés

(1) Allusion aux projets de Mires et de la Société des ports (1858). Pour résoudre facilement le problème de la jonction du nouveau port de la Joliette et du Vieux-Port, Mires proposa de niveler la vieille ville, en rasant purement et simplement les trois collines de Saint-Laurent, des Moulins et des Carmes et d'établir sur l'emplacement ainsi déblayé un quartier neuf avec de larges avenues se coupant à angle droit. L'opposition fut grande parmi les Marseillais d'origine, fidèles à leur vieille acropole et ceci d'autant plus que Mires ne cachait pas son désir d'aboutir rapidement à faire en haut lieu approuver ses projets. La municipalité réussit à les faire différer et, à l'occasion de la visite de l'empereur en 1860, elle fit approuver par le souverain le percement de la rue de la République qui, par une saignée à travers la vieille ville, unirait les vieux et les nouveaux quais. Mais l'alerte avait été chaude...

(2) Allusion aux maisons de la rue de la République qui restèrent longtemps inhabitées.

(3) Fouen dei ven : Fontaine des vents. Allusion à une rue de la Tourette où se trouvait une fontaine particulièrement exposée aux rafales du mistral.

Destruam et aedificabo : Détruisons et édifions.

Victor Gelu - Marseille au XIXe siècles- Plon 1971. Texte annoté par Lucien Gaillard et Jorgi Reboul.



André-Jean-Victor Gelu est né le 12 septembre 1806 dans une maison de la porte d'Aix. Le père de Gelu était boulanger qui, après avoir amassé quelques économies en Espagne, était venu s'établir à Marseille. Gelu mourut le 2 avril 1885.