Je suis né le 26 juillet 1924, au 20, place Sébastopol, et j'y habite toujours pendant la guerre.
Au début de celle-ci, je suis adolescent, en cours d'études. Le plus dur va commencer après l'exode de 1940.
Les restrictions (1) arrivent vite; l'hiver 1940-41 est froid: c'est un hiver à neige. Comment, se chauffer? C'est difficile; comment manger? C'est plus difficile encore. Grand nombre de produits de première nécessité sont rationnés‚ et, si les légumes ne le sont pas, ils se font rares. Les marchands, pour en donner au plus grand nombre, décident: 1/2Kg par familles, par exemple. On donnera un peu plus aux familles nombreuses. Les mères de ces familles, ainsi que les femmes enceintes ont "la carte de priorité", les autres font la queue... À leur tour, restera-t-il quelque chose?
Il faut pourtant garder bon moral et sourire ... de temps en temps. Un exemple familial: mon père n'aimait pas les carottes...et, un jour, il est revenu triomphant: il en avait trouvé! La guerre rend-elle raisonnables ? Raisonnable, sur un point, il l'était: il ne fumait pas. Alors que faire de sa ration de tabac? Notre charcutier fumait; d'où échange: tabac contre saucisses.
Les santés sont ébranlées; nous manquons de vitamines, de lipides et de bien d'autres choses indispensables. Aussi sous l'effet du froid, les engelures font-elles leur apparition? Alors on conseille d'absorber une ampoule de «stérogil». Bien! Mais rien ne vaudrait le pain, la viande si peu donnés. Un chansonnier de l'époque - les Français ont toujours le mot pour rire, nous dit, car les journaux annoncent une arrivée d'agrumes: "Agrumes, c'est le nom des oranges, quand il n'y en a, plus".
Mais le plus mauvais est encore devant nous. Après le bac, je commence, à Aix, des études supérieures. Voyages, aller-retour se feront en tram: c'est moins cher, mais c'est long: en général, 1 h 3/4. Il faut manger aussi; entre étudiants, nous nous donnons de bonnes adresses; par exemple, à tels petits restaurants, on sert des légumes secs....Bonne aubaine.
Il faut éviter les rafles; les filles avertissent les garçons - très peu nombreux - ils se cachent, jusqu'au signal "danger passé".
Un jour, sans alerte à Aix, nous entendons distinctement les explosions d'un bombardements où est-ce? Je réussis à téléphoner chez moi, ce n'est pas à Marseille. Ouf!
Qui dit étudiant, dit cartable. Eh bien, non! J'ai une petite valise; elle me servira, si j'ai la chance de trouver sur un marché d'Aix un légume. Je pense toujours à une betterave ramenée ainsi un jour à Marseille.
Un soir, et je reviens aux voyages, notre tram revenant d'Aix, se trouve bloqué: le tram venant de Marseille a déraillé sur la voie unique. Inutile d'attendre! Je descends pour marcher, et nous sommes à VIOLESI, au niveau de plan de Campagne. Il me suffira d'aller à pied jusqu'à Notre-Dame limite, départ de la ligne 26, via le Pin, Septèmes...
Arrive le 1er mars 1944. Une camarade,elle était religieuse, me téléphone pour me donner l'information suivante: par ordre des Allemands, les Facultés doivent fermer le 15 mars; tous les examens doivent se passer avant. Je réussis, tant mieux! Et me voila licencié es Lettres, mais sans-emploi; c'est dangereux: les "oisifs" sont un gibier pour le S.T.O. Heureusement une place est libre au Sacré-Coeur, rue Barthélemy, et je deviens enseignant en avril. Tout se passe aussi bien que possible, compte tenu de l'occupation.
Mais arrive la veille de PENTECÔTE, le 27 mai; c'est le terrible bombardement qui a fait des milliers de victimes. Je me revois encore à la cave avec un vieil Allemand bon chrétien, un voisin communiste, ma mère; nous récitons tous avec ferveur le chapelet. Mais où est mon père? Courtier, il est parti pour sa tournée. En cas d'alerte, il se réfugie dans une église; vu l'endroit, il pense à la Belle-de-Mai, puis se ravise et va à St Mauron. (le St Esprit l'a bien inspiré): si l'église de la Belle-de-Mai* est neuve, vous savez pourquoi.
Il me reste à attendre, en travaillant, car j'ai une autre étape après la licence, l'arrivée de la Libération. Dernier souvenir, notre marche vers l'église le matin du 15 août. La nuit précédente, il y a eu un bombardement. Nous partons à 5 h 45 , pour la messe de 6 h, le couvre-feu n'est pourtant levé qu'à 6 h, mais tant pis! Dans la rue George (notre paroisse est St-Michel, et c'est là que nous allons), nous marchons sur du verre; beaucoup de vitres ont claqué pendant le bombardement.
Dans la journée, nous apprendrons - pas par les journaux - le débarquement en Provence. L'heure de la délivrance approche (2I-23 août).
Comment avons-nous fait pour survivre? Merci mon DIEU.Alexandre SCHICKLER
*C'est l'église que Monseigneur Delay site dans son homélie après le bombardement
Alexandre SCHICKLER sera ordonné Diacre permanent en 1986.
1- Le rationnement
En raison du manque de nourriture (à cause des très fortes destructions pendant la guerre, mais surtout aussi l'armée allemande subvenait à toutes ses exigences en prélevant sur le pays qu'elle occupait, tout se dont elle avait besoin), les produits étaient rationnés et certains n’étaient même plus disponibles, d’autres étaient remplacés par d’autre (ex : les pommes de terre étaient remplacés par les topinambours).
Par conséquent, les produits vitaux (le pain, le sucre, etc…) étaient rationnés. Les gens ne pouvaient en toucher qu’une certaine quantité selon leur âge.
De plus il y avait les interdictions :
le mercredi, jeudi, vendredi
interdit : Consommation de viande de boucherie
le jeudi et mercredi
interdit : Consommation de charcuterie
le vendredi
interdit : Consommation de viande de cheval
Les cartes de rationnement étaient ainsi définies :
E : Enfants de moins de trois ans. J 1 : Enfants de trois à six ans. J 2 : Enfants de six à treize ans. J 3 : Adolescents de treize à vingt et un ans. A : Consommateurs de vingt et un à soixante dix ans ne se livrant pas à des travaux de force. T : Travailleurs de force de vingt et un à soixante dix ans donnant droit à des suppléments. C : Consommateurs de plus de vingt et un ans se livrant à des travaux agricoles. V : Consommateurs de plus de soixante dix ans.
On gardera encore ses cartes de rationnement jusqu'en 1949