La France sous l'occupation


Après la défaite, la France signe le 22 juin 1940 un traité d'armistice qui comporte des clauses très dures. La France est coupée en deux par la ligne de démarcation, et se trouve dépossédée des trois départements de l'ancienne Alsace-Lorraine. Son armée est démobilisée et ses prisonniers ne sont pas libérés. Contrainte de verser 40 millions par jour pour couvrir les frais d'occupation, la France doit également placer son économie au service de l'effort de guerre allemand.

Le S.T.O.


Aussitôt installé, l'occupant fait ainsi travailler à son compte les entreprises françaises. Après avoir prélevé une part importante de la production industrielle et agricole, les dirigeants du Reich exige le départ pour l'Allemagne des travailleurs français. Face à l'ampleur des pertes allemandes sur le front de l'est, la mobilisation de tous les hommes valides, les nécessités d'une guerre totale, les besoins de main d'oeuvre étrangère sont plus importants.
D'août 1940 à juin 1942, entre 60.000 et 150.000 volontaires partent travailler en Allemagne. Leur nombre étant insuffisant, Laval instaure le 22 juin 1942« la Relève » , dont le principe consiste à échanger un prisonnier qui rentrerait en France, contre trois ouvriers français qui partiraient en Allemagne. Cette initiative étant également un échec, le « service du travail obligatoire », dit « STO », est instauré. Il prévoit la mobilisation de tous les gens nés entre 1920 et 1922. Entre 400.000 et 450.000 jeunes gens sont ainsi contraints à partir, toutes professions et catégories sociales confondues.

L'état français est le seul parmi les états européens à forcer ses ressortissants à collaborer, et à fournir un pourcentage de main d'oeuvre aussi important. Si on ne dispose pas de statistiques fiables et complètes concernant les travailleurs français partis en Allemagne, on peut estimer leur nombre à 600.000 ou 650.000. Si on ajoute les travailleurs français restés en France dans les usines d'armement on obtient le chiffre, selon Jean Paul Cointet, de 3 millions de personnes.
Après la défaite, Pétain affirme qu'il faut payer pour les erreurs passées. Ce sentiment de rédemption lui sert à justifier le départ forcé de travailleurs en Allemagne.

Dès le mois d'août 1940, l'occupant fait appel aux volontaires et ouvre les premiers bureaux de recrutement. D'août à juin 1942, entre 60.000 et 150.000 ouvriers volontaires partent travailler en Allemagne. Attirés par des contrats de travail avantageux, un grand nombre s'exile pour des raisons de strictes nécessités. En effet, les salaires baissent, le chômage est alors estimé à un 1 million, les semaines de travail représentent 60 à 70 heures, et beaucoup d'entreprises sont contraintes de fermer en raison des pénuries de matières premières.

( Les premiers ouvriers sont montrés en exemple par les autorités allemandes et vichyssoises. La propagande, à travers la diffusion d'affiches, de textes et de tracts, met en exergue l'équation: « travail = argent = bonheur ». Journal du 23 Mai 1941 )


En Allemagne, la réquisition de la main d'oeuvre étrangère est orchestrée pendant 3 ans par Albert Speer et Fritz Sauckel. Albert Speer souhaite que l'industrie française tourne au service du Reich en utilisant la main d'oeuvre locale. Fritz Sauckel, nommé commissaire pour l'emploi de la main d'oeuvre, veut au contraire organiser la déportation de la main d'oeuvre française en Allemagne.
En Janvier 1942, l'armée allemande devant faire face à la résistance inattendue de la Russie manque d'hommes. Réquisitionnant les derniers ouvriers allemands, elle a plus que jamais besoin de main d'oeuvre étrangère. L'occupant multiplie le nombre de ses propres offices de recrutement, mais les ouvriers volontaires ne sont pas assez nombreux. Sauckel vient à Paris en mai 1942, pour exiger l'envoi de 350.000 travailleurs français en Allemagne, dont 150.000 spécialistes. Laval maquille cette exigence en une entreprise généreuse : « la relève ».
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La relève est un projet élaboré par Scapini en septembre 40, et rejeté alors par les Allemands. Créée pour donner satisfaction à Sauckel, tout en maintenant la fiction du volontariat, le principe de la relève consiste à échanger un prisonnier qui rentrerait en France, contre trois ouvriers français qui partiraient en Allemagne. Le témoignage du ministre du travail Hubert Lagardelle permet de nuancer ce principe « Laval avait consenti à échanger un travailleur libre contre un prisonnier... Le refus des allemands ne découragea pas l'obstination de Laval qui fit accepter une solution intermédiaire, laquelle ne devait être que provisoire : une libération contre trois engagements. L'échange, se fit en réalité, dans une proportion de un pour sept.»
Les services allemands et les autorités de Vichy mettent en place conjointement un appareil de recrutement. Des commissions départementales d'information sur la Relève sont mises place. Le ministère de l'information entreprend une grande campagne de propagande , en diffusant des tracts, des affiches et des brochures. Il sollicite le départ sous le mode de l'échange, en accentuant la familiarité avec l'ouvrier qui part et celui qui revient. La notion de voyage est associée à celle de promesse.

Si, en réalité, cette campagne de propagande est un véritable chantage à la libération des prisonniers, elle fait appel à la générosité, au sens de la responsabilité, et à la solidarité. Les actualités montrent la gare de Compiègne, haut lieu de transit, décorée aux armes du maréchal et accueillant en fanfares les « heureux bénéficiaires de l'échange ».
La vision de Cavanna, telle qu'il l'expose dans son roman « Les Russkoffs » est bien différente de celle des actualités: " Au départ, les gars des actualités étaient là avec leurs caméras, et aussi les journalistes, mais ils ne s'avançaient pas loin sur le quai, alors il suffisait d'accrocher quelques wagons de troisième classe, réformés mais quand même, en queue de train. Les fourgons à bestiaux ou à marchandises ne se verraient pas à l'écran, avec le bon angle. Juste avant qu'on nous fasse monter, les gars de la milice (...) s'étaient amenés avec des pots de peinture et avaient barbouillé en grandes lettres blanches sur les flancs des wagons : « vive la relève! », « Vive Pétain ! », « Vive Laval ! » ".
Malgré tous les efforts entrepris par le gouvernement de Vichy, la relève est un échec. A la fin du mois d'août 1942, entre 47.000 et 60.000 travailleurs, plus forcés que volontaires, sont partis travailler en Allemagne; tandis que Sauckel en avait exigé 350.000. C'est alors, qu'est instauré le « service du travail obligatoire » dit « STO ».

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Avec l'instauration du STO, le gouvernement de Vichy bascule dans la collaboration la plus extrême, en imposant le départ forcé d'une catégorie de la population. Si la relève avait su préserver l'illusion d'une réciprocité dans la collaboration et du volontariat, le STO se définie au contraire comme une collaboration forcée et sans réelle contrepartie. La loi n°869 du 4 septembre 1942, relative à l'utilisation et l'orientation de la main d'oeuvre, impose la conscription obligatoire de tous les hommes âgés de 18 à 50 ans et toutes les femmes célibataires de 21 à 35 ans. Comme le souligne Jean-Paul Cointet « c'est la première loi sur le STO ». En février 1943 la guerre totale est déclarée, ce qui nécessite un accroissement de la production. Sauckel revient à Paris, et exige qu'un nouveau contingent de 250.000 hommes soit expédié pour mi-mars; en plus des 240.000 ouvriers contraints à partir après le 4 septembre. Le gouvernement de Vichy sachant que la réquisition du mois de septembre n'aurait pu fournir un tel nombre d'hommes, promulgue une nouvelle législation.
La loi du 16 février 1943 portant institution du travail obligatoire impose la réquisition, pour une durée de deux ans, de tous les jeunes hommes entre 1920 et 1922, c'est à dire âgés de 20, 21 et 22 ans.
Alors qu'est imposé le départ des jeunes travailleurs pour l'Allemagne, le retour des prisonniers de guerre cesse. Les prisonniers deviennent « travailleurs libres » . Ce nouveau statut ne modifie guère leur sort, puisqu'ils sont toujours contraints de travailler pour l'économie de guerre hitlérienne.( Journal du 9 Juillet 1943 )
La "justification" du STO. Affiche réalisée par les services de propagande allemand et vichystes, avril 1943 (coll. MRN)

Les listes des personnes requises pour le « STO » sont arrêtées par les préfets. Les maires, chargés d'instruire les dossiers, utilisent les cartes de ravitaillement ou ont recours à la délation. Des menaces et des pressions sont exercés sur les familles. Des amendes, allant de 10.000 à 100.000 francs, sont fixées début juin 1943 pour quiconque aiderait un réfractaire. Des perquisitions et des contrôles de police sont exercés à Paris dès le mois de février. Voulant rassurer la population, la propagande montre les jeunes travailleurs mangeant à leur faim, et se délassant dans des baraquements confortables. En réalité, les ouvriers vivent en majorité à côté des usines ou ils sont employés, dans des baraquements très semblables à des stalags même s'ils ne sont pas entourés de barbelés. Entassés dans de petits dortoirs, ils dorment sur des paillasses, travaillent 12 heures par jour, et sont mal nourris. La plupart des témoignages d'après guerre évoquent la faim quotidienne et une fatigue constante.

La propagande veut faire croire que le STO est l'occasion d'acquérir des compétences professionnelles ou d'exercer son métier. En réalité, les qualifications professionnelles ne sont souvent prises en compte. Cavanna raconte, dans son roman « les «Ruskoffs», que les ouvriers français arrivés en Allemagne, sont envoyés dans des centres de triage ou ils sont choisis par les patrons allemands en fonction de leurs capacités physiques, et non de leur compétence professionnelle.

L'instauration du STO consacre la rupture entre le régime de Vichy et la population. Une hostilité croissante naît, non seulement chez les ouvriers mais aussi chez les paysans et les classes moyennes, populations jusque la soutenues par Vichy. Ainsi, Comme le souligne l'historien H. Roderick Kedward « C'est à partir de l'instauration du STO que l 'on peut commencer à dater l'effondrement interne de Vichy. Envoyer des jeunes ouvriers français travailler en Allemagne était tellement en contradiction avec la devise : travail, famille, patrie, qu'aucune tentative de justification n'était plus crédible »
Des manifestations éclatent dans toute la France. Des femmes se couchent sur les rails pour empêcher les trains de partir, en criant « Non à Laval » « Non à la déportation », tout en bombardant les représentants de Vichy de fruits pourris.
Une majorité de français prend conscience, avec l'instauration du « STO », du pillage économique et humain provoqué par l'occupation. Le « STO » contribue également à faire basculer une partie l'opinion en faveur de la résistance, qui catalogua immédiatement le « STO » comme une déportation . Certains réfractaires au STO, sont entrés dans la résistance. Le récit de Jean Guibal en témoigne.
Sauckel fut, à ce titre, considéré ironiquement comme le principal officier recruteur des unités de maquisards. La lutte contre le STO a également amené les divers courants de la résistance à renforcer leurs moyens.

Conclusion

Après la défaite de l'Allemagne, les travailleurs forcés arrivent dans une France qui a déjà vécu la libération. Beaucoup ont connus des conditions de vie difficiles s'achevant par l'expérience traumatisante du bombardement de l'Allemagne. Si Cavanna témoigne qu'il a été bien accueilli par la population française à la libération, certains engagés comme volontaires ont été accusés devant les chambres civiques d'avoir collaboré avec l'Allemagne. Ceux qui avaient participé à la relève furent considérés moins suspects. Leur engagement pouvant être assimilé à un geste de solidarité. Les hommes réquisitionnés par le STO n'ont pas jamais été considérés juridiquement comme des déportés. En 1951 il obtiennent le statut de PCT : « personnes contraintes au travail ». Or, les conditions de vie dans les camps, et la migration forcée d'une catégorie de population pouvait justifier l'obtention du titre de déporté. De nombreux témoignages d'anciens travailleurs forcés ont été édités . Ils mettent en lumière une page de l'histoire encore restée très obscure.

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